Cet article n'a pour but que de donner quelques clés sur l'un des textes de yoga qui peut accompagner une pratique régulière toute une vie. D'autres articles de ce type sur d'autres textes suivront.
L'étude complète de ce texte est commentée dans les séries 5 et 6 des cours par correspondance que je propose.
La Kundalini Upanishad
L’upanisad qui porte ce nom est la réunion de trois textes très différents dont seul le premier correspond au titre de l’œuvre.
Il existe deux traductions en français, l’une de Jean Varenne (1971) et une autre de Martine Buttex, publiée dans un énorme ouvrage qui réunit 108 upanishad. Elles étaient autrefois en ligne ; elles en le sont malheureusement plus aujourd’hui.
Il est intéressant de lire les deux traductions qui présentent des variantes.
Le but que propose cet Upanisad est d’atteindre le Samaddhi, état béatifique dans lequel Shiva (la conscience) et Shakti (l’énergie) sont unies. Shakti étant bien sûr Kundalini, ce mystérieux serpent lové à la base de la colonne vertébrale après qu’elle ait fini son travail de création et qui s’en ira à notre mort en emportant tout car les cakras disséminés le long de la colonne vertébrale seront percés les uns après les autres, le tout bien sûr en un instant fulgurant.
Ce texte donne donc les moyens de l’éveiller Avant la mort en utilisant le souffle, pranayama, qui est la technique la plus importante. C’est par la maîtrise de la rétention que celui-ci peut faire le travail d’éveil.
Comme toujours, le texte est obscur volontairement afin que seul les initiés, les pratiquants puissent l’utiliser comme un aide mémoire plutôt que comme un guide que l’on suit à la lettre. Il y a toujours une volonté de rendre les textes flous car la transmission était, dans ces temps reculés, orale, de maître à élève après que celui-ci ait été accepté. Le secret sur cette transmission était souvent absolu ; des textes ont toutefois été écrits mais de façon sibylline pour que le secret reste total.
Ce texte décrit sommairement les pratiques nécessaires à la réussite de Samaddhi ; elle rappelle les étapes préliminaires, comment raffermir Saraswati – autre nom de la Sushumna– décrit quatre types de respiration, puis les bandhas. Puis elle parle des obstacles à la réalisation de ce programme. Elle évoque aussi la montée de Kundalini – qui vient du sanskrit Kundala qui veut dire bracelet, boucle d’oreille, à cause de ses triples boucles et demi - dans le canal central jusqu’aux mille pétales où elle s’unit à Shiva. Tout le travail qu’on fait en yoga n’est au final qu’un travail préparatoire pour cette union (qui pour la plupart ne se réalise en fait jamais…)
L’essentiel du texte avec les slokas correspondants :
C’est le souffle qui active l’ensemble des souvenirs hérités, c’est le souffle qui peut tout changer, c’est ce qui est dit dès les deux premiers slokas et tout le travail du pranayama va être de purifier l’ensemble de ces contenus hérités pour préparer le travail suivant
1 : Les deux causes par lesquelles l’esprit fonctionne ou ne fonctionne pas sont d’une part l’ensemble des souvenirs hérités (le karma) et d’autre part l’air qu’on inhale et exhale inconsciemment.
2 : Si l’une de ces causes disparaît, toutes deux deviennent automatiquement inopérantes. Il faut donc veiller au « bon fonctionnement » des deux mais surtout s’efforcer de maîtriser la respiration.
Ce travail suivant, c’est, bien avant de songer à éveiller Kundalini, d’affermir Sarasvatî, c'est-à-dire de préparer Sushumna qui est le canal central dans la structure énergétique, le long de laquelle se trouvent tous les cakras.
8 : Si l’on veut réussir cela il faut affermir la Sarasvatî par où montera l’Energie lovée et s’exercer à la tenue du souffle, l’éveil de la Shakti est à ce prix.
Les Sloka suivants décrivent le travail à faire sur les canaux latéraux Ida et Pingala pour préparer Sushumnâ – technique de pranayama comme Nadishodana.
C’est la raison pour laquelle on met ce souffle au programme des débutants, car son apprentissage, lorsque l’on est simple pratiquant, est long et difficile. Mais sans lui, il est vain de vouloir viser autre chose. Et on laisse ce souffle longtemps au programme, tant que les canaux ida et pingala ont besoin d'être purifié. Si on pratique une fois par semaine, on le fera donc toute sa vie...
Dans l’idéal d'une recherche de samadhi, il faudrait le pratiquer trois fois trois ghatika au matin, à midi, et la nuit pendant trois mois, soit trois fois 25 minutes fois 3 par jour environ, c'est à dire pendant quatre heures environ. En plus du reste.
On obtient peu à peu la purification que promet ce souffe en le travaillant régulièrement pendant des mois
Puis le texte dit qu’il faut déjà conduire la Shakti à l’orifice de Sushumna avant de songer à la faire monter. Et là, les techniques pour y parvenir vont être décrites.
A cela s’ajoute le travail sur la triple contraction : gorge, ventre et anus : les trois Bandhas afin que les souffles vitaux ne se dispersent pas n’importe comment
Ces souffles sont les cinq vayus, localisés dans des centres énergétiques et qui régulent différents types d’activités et d’énergie – Prana, Udana, Samana, apana, Vyana
Au Sloka 17, un point de repère est donné : l’affermissement de la Sarasvatî s’accompagne de l’audition du son intérieur ; le pratiquant sait donc que lorsqu’il entend un son intérieur en continu qui varie de puissance et peut s’effacer mais s’intensifie dès qu’il pratique, c’est que le travail d’affermissement a commencé :
17 : L’affermissement de la Sarasvatî s’accompagne toujours de l’audition du Son primordial et guérit le Yogin.
Pourquoi la Sushumna ? Parce que c’est la seule qui peut supporter cette montée sans que tout ne soit immédiatement détruit sur le passage de la Kundalini. Elle est faite pour ce passage, et reste vide et creuse avant.
Au Sloka suivant jusqu’au 21, sont expliqués qu’il faut combiner différents souffles entre eux dans le calice ( c’est l’endroit où s’effectue la rétention) ; commence le long et minutieux travail de rétention des souffles, dont la visée n’est pas la performance mais un travail d’alchimiste : changer la fréquence vibratoire de toute la structure énergétique, toujours dans le but de préparer Sushumna
Les souffles cités sont :
Le Bhastrika, Shitali, Ujjâyin, et Surya Bedhana peuvent être envisagés avec de longues rétentions seulement après que Sushumna soit préparée
Puis après cette description au langage caché comme toujours dans ces textes, suit des Sloka très importants :
40 : A ces modes de contrôle du souffle
41 : Il est bon d’associer les trois contractions musculaires de la base, du volant et du porteur des lacs.
42 : La contraction de la base oblige l’Apâna à inverser son mouvement, grâce à une contraction de l’anus.
Les consignes sont claires : faire des souffles ne suffit pas, si les trois contractions ne sont pas ajoutées. On les connaît, ce sont les trois " verrous", les trois bandhas, sans lesquels il est vain de faire de yoga : mulabandha, jalandhara bandha et uddyana bandha : base, ventre, gorge.
Afin, une fois encore d’obliger les vayus à s’unifier ; sans cette pratique et cette maîtrise, éveiller Shakti est possible mais le résultat totalement illusoire car rien ne sera ni maîtrisé ni contrôlé. Ele s'éveillera peut être mais dans le chaos et le désordre le plus total.
On comprend là aussi tout le travail à faire sur les vayus qui règlent le corps énergétique.
Vient ensuite la description de la montée de Kundalini au Sloka suivant :
43 : L’apâna au lieu de descendre, monte et atteint l’endroit où brille le feu intérieur l’amenant à grandir et à s’accroître.
44 : Alors, le feu ainsi attisé, uni à l’apana au cours inversé, parvient là où gît le souffle intérieur ; Il s’enflamme et embrase le corps tout entier.
45 : L’énergie-lovée, réchauffée par le feu ainsi allumé par le souffle, s’éveille et se dresse en sifflant comme un serpent qu’agace le bâton du charmeur ; elle entre alors dans la Sushumna par son orifice inférieur
Dans les slokas suivants – 48 à 50 - des postures sont conseillés pour accompagner cette montée : la posture de la foudre, qui peut être précédée de la posture de la pince, pashimottanasana - à condition de ne pas faire monter Kundalini plus haut que le ventre, car il convient ensuite pour qu’elle continue son ascension à prendre une posture assise
On voit à quel point ces textes s’adressent à des yogis aguerris et pas à de petits apprentis sorciers
Pour le pratiquant plus modeste, ce texte donne des points de repère essentiels pour comprendre sa pratique en profondeur et donner du sens à ce qu’il fait
Puis des souffles à faire ; c’est un véritable « mode d’emploi » mais bien évidemment incomplet (46 à 55 -
Dans les Sloka suivant, -56 à 60 - il y a une énumération qui montre tous les obstacles à cette réalisation ; cela va du manque de fois au manque d’énergie, de volonté, à la dispersion, à l’attachement encore à ce monde.
Les Sloka suivant (61 à 69) la montée est décrite, ainsi que le percement des trois granti : Brahma granti, (animalité) Vishnou granti (personnalité) et Rudra granti (conscience)
Là, l’ascension n’est pas finie : Shakti boit l’Amrita avant de finir sa course
73 : Libre de tout appétit sensuel, ferme en son yoga, l’adepte concentrant son attention sur cela absorbe alors cette ambroisie comme un sacrifiant boit le soma et par là s’établit à jamais dans la conscience
Puis, dernière étape pour Kundalini, atteindre le mille pétale ce que décrivent les slokas 74 et suivant
Le texte reviendra une fois encore sur cette description comme en concentré et concluera de façon sublime puisqu’elle montre que l’homme peut échapper à sa condition de Pashu, c'est à dire faisant partie du troupeau. Le troupeau signifiant qu'il suit le mouvement, sans pouvoir rien faire pour allumer ne serait ce qu'une petite lumière pour éclairer sa vie. Il la vit dans un état de nuit totale, ligoté corps et âme par ses granthis, ses vies antérieures, ses conditionnements, son éducation, la société dans laquelle il vit, son héritage génétique, ainsi de suite, sans rien pouvoir faire du tout...
Même si un sur 100000 seulement atteint cet état, ce possible est dans chaque être humain, qui, par un travail sur ses énergies via le yoga ou tout autre outil de son choix, peut cheminer sur un chemin tout autre que celui du conditionnement et de la lente déchéance du corps vers la mort et la maladie. Chaque être humain porte en soi sa part magique et sa part divine ; il ne tient qu’à lui de l’éveiller, mais rien qu’un tout petit peu, pour donner saveur et conscience à son petit tour sur terre et se rappeler son origine divine.
74 :L’énergie lovée monte ensuite jusqu’au centre aux mille pétales, elle abandonne alors les huit éléments, l’eau, la terre, l’air, le feu, l’espace, la pensée, l’intelligence, l’ego. S’emparant de la lumière, de la pensée et du souffle, les tenant étroitement embrassés, elle atteint la conscience (Shiva) ; s’emparant enfin de Shiva lui-même, elle se dissout dans le cakra aux mille pétales !
75 : alors, à cet instant même, les deux principes fondamentaux de l’individu, l’activité et la lumière se dissolvent à leur tour en Shiva ; se dissolvent aussi les deux formes du souffle vital, l’inspiration et l’expiration qui ont atteint leur point d’équilibre. Le yogi soudain devient gigantesque cependant que s’amenuisent en lui les éléments de la personnalité ainsi que la pensée et la faculté de parler.
76 : Les souffles s’agitent en tous sens, comme l’or en fusion dans le creuset de l’alchimiste. Le corps grossier se mue enfin en sa forme divine.
77 : Débarrassé de toutes entraves, délivrées de l’état de stupeur où le maintenait sa condition captive, le corps subtil resplendit.
78 : Il est fait de pure conscience, il est l’essence même de la personne puisqu’il n’est autre que le Soi présent dans tous les êtres.
79 : C’est là, dit on, la véritable délivrance qui libère du karma et du temps, apparences pareilles à l’illusion qui fait prendre une corde pour un serpent.
Afin de bien comprendre cette fin de texte, il faut être familier avec la philosophie du Samkhya qui considère l’ego, l’intelligence, la pensée comme des outils au même titre que les sens qui sont littéralement "abandonnés" avec l’éveil de Kundalini. C'est à dire que la personnalité toute entière est anéantie, elle disparaît.
Tous ces éléments figurent au rang des tattvas.
Le texte dit aussi clairement que le Soi est dans chaque être humain, tous sans exception
Autrement dit, une part divine est en chacun des êtres vivants
87 c’est cela la vraie délivrance, par elle on échappe au karma et l’on connaît la béatitude !
Le mot de la fin :
Ce mode d'emploi en abrégé de l'éveil de Kundalini et que l'on peut trouver en ligne avec les commentaires de Martine Bultex ( traduit de l'anglais) ouvre la porte sur le merveilleux
Il n'est bien sûr pas question pour l'homme ordinaire de pouvoir réaliser ce programme mais s'il peut déjà éveiller un peu la belle Kundalini endormie dans le premier cakra, il verra sa vie se transformer complètement.
D'autres parts, ce texte qu'on peut avoir sous la main lors de ses propres pratiques, est à lire et relire jusqu'à le connaître par coeur, parce que ce sont ces textes là, précisément, qui donnent tout leur sens à une pratique personnelle : on comprend pourquoi il faut sans relâche travailler sur ida et pingala, affermir la sushumna, la chauffer, la préparer, faire les verrous, maîtriser les souffles, pourquoi pashimottanasana vient toujours dans les premières postures...
Je vous laisse méditer sur ce texte donc voici le lien:
http://www.lesconfins.com/YogaKundaliniUpanishad.pdf
Vous pourrez télécharger et imprimer le texte pour l'avoir sous la main
Ou bien vous procurer celle de Jean Varenne comme l'image ci dessus, traduite du sanskrit et non de l'anglais par lui même