L’enseignement de Maharshi (1)
L’enseignement de Maharshi est d’une simplicité extrême, encore plus simple que celui d’Anirvan, qui déjà a pourtant lui aussi beaucoup « élagué » les grands savoirs des philosophies indiennes.
Et pourtant, lorsqu’on lit les échanges entre Maharshi et ses invités, on ne peut être qu’étonné par son extraordinaire connaissance des textes, des langues, des citations entières dont il égrène ses conseils qui restent toujours les mêmes : il n’existe que deux façons pour se fondre au Soi : l’investigation par la question qui suis-je (voie suivie par Jean Klein par exemple) ou bien l’abandon total. Il explique le plus simplement du monde que le savoir yogique ou autre, ne mènent pas à la réalisation du Soi – à moins de parvenir, comme les grands yogis, à unir Kundalini à Shiva dans Sahasraha, puis à la ramener dans le cœur. Ce qui revient à dire que seule une personne sur un million y arrive.
Pour lui, il suffit de se poser en permanence la question « qui suis-je » ou bien de s’abandonner au divin dans tout ce que l’on fait pour faire jaillir la réalisation. Il insiste sur une façon de procéder constante, confiante, paisible et toujours sur le fait que c'est simple, que personne n'est séparé du Soi, que tout le monde est déjà réalisé.
Pour la première, il s’agit de chercher qui est l’auteur des pensées jusqu’à avoir épuisé toutes les couches de pensées, être remonté jusqu’à la vibration même du « Aham » (je suis) et non pas au simple « Je » qui pense (Descartes). C’est le « pense » qui empêche de remonter à la source. Il ne doit rester que Je (Aham) qui est pur vibration ( sat-chit-ananda). Tant que les pensées sont là, elles barrent la route.
Pour Maharshi, tout le monde est déjà réalisé, puisque l’univers entier est Shiva manifesté par Shakti, mais l’illusion d’être le corps, d’être celui qui agit, empêche de lever le voile pour se fondre au Soi. Cette « technique » doit être pratiquée de jour comme de nuit, pour ainsi dire sans interruption. C’est une sorte de méditation continue d’où doit percer la fulgurance de l’état d’être le tout, non séparé du Soi.
Maharshi prend souvent l’exemple de l’écran de cinéma en expliquant que quelles que soient les images projetées sur lui, que le feu détruise tout, ou bien l’eau inonde tout, l’écran n’en est pas affecté ; les images sont l’univers entier, et l’écran le Soi qui englobe tout et au-delà.
Lui-même à 16 ans est rentré chez lui un jour, sûr qu’il allait mourir ; et il s’est allongé jusqu’à se sentir mort, ce qui a duré longtemps, et quand il fut persuadé d’être mort, il s’est alors trouvé réalisé. Dans un des entretiens, il explique qu’il avait sans doute déjà acquis un savoir-faire « avant » cette vie.
La deuxième méthode est l’abandon ; l’individu abandonne ce qu’il est à une force plus grande que lui ; il remet ses actions, ses pensées comme il les remettrait à quelqu’un, en sachant qu’il n’en est pas l’auteur ; il les offre quotidiennement et là aussi de façon ininterrompue ; jusqu’à ce que là encore quelque chose lâche complètement. C’est une voie très proche à la fois du karman-yoga (je sais que je ne suis pas l’auteur de mes actions) et du bhakti yoga (j’offre à ma divinité intérieure qui m’englobe et est plus vaste que l’univers mon être tout entier)
Les deux voies sont pareillement simples, si l’individu entre dans l’une ou l’autre avec la certitude que tout est déjà accompli.
Alors, pourquoi faire du yoga?
On peut alors ensuite se demander pourquoi faire du yoga, ou toute autre technique spirituelle ?
A quoi bon, puisque de toute façon, il est clair que celui-ci, pas plus que la méditation, ne mènera à la réalisation ?
Parce que le yoga reste un outil. Un bon outil. Il y en a plein d’autres, mais une fois qu’on a trouvé le sien, il est bon de continuer avec le même en ayant la certitude que c’est celui qui nous convient.
Si l'on veut faire de la musique, on peut choisir n’importe quel instrument. Mais une fois l’instrument choisi, c’est la musique qui compte, pas l’instrument. L’instrument n’est qu’un moyen de faire de la musique. Après bien sûr, certains auront plus d'affinités avec un violon ou un orgue, selon : c’est le choix de l’outil, mais il est là au service de la musique. C’est la même chose pour le yoga. C’est un outil qui permet précisément de simplifier l’individu incarné, de le rendre à la fois plus perméable, plus poreux, plus stable, plus lumineux, de le préparer pour ainsi dire à l’une ou l’autre voie décrite par Maharshi qui ne sont alors plus de vagues promesses d’un paradis inatteignable. Elles deviennent possibles. Et le yoga est bien l'outil et pas le but.
On peut alors se demander la raison d’être de toutes ces techniques compliquées et de tout ce savoir sur les nadis, les adharas, les cakras, les vayus, les gunas, les souffles à faire comme ceci et pas comme cela, les mudras compliquées, etc. puisque visiblement, la solution est beaucoup plus simple?
Tout simplement parce que de la multitude de techniques peut jaillir un jour une étincelle qui change tout. Absolument tout!
Maharshi lui-même avait une connaissance extraordinaire des textes, des différentes voies et parlait plusieurs langues. Une fois réalisé, il voyait cependant que la frontière était si étroite entre le Soi et l’individu incarné qui se débat avec ses contradictions, qu’il a préféré mettre l’accent sur la simplicité. Le savoir risquant de faire dévier l’apprenti de sa route, en le rendant peu à peu attaché à tout ce savoir, toutes ces connaissances, en en devenant pour ainsi dire jaloux ou esclave. Ce qui est à l’opposé de ce qu’il désirait à l’origine.
L’abandon dont parle Maharshi est la grâce des mystiques dont parle Silburn qui avait obtenu la sienne d’un guru et a ensuite pu en faire bénéficier son entourage dans la région parisienne. Ce qui ne l’a pas empêchée elle aussi d’acquérir des connaissances et un savoir extraordinaire.
Cette grâce n’est jamais obtenue en faisant ceci ou cela (des bonnes actions par exemple) en suivant des règles, en se référant au bien ou au mal, etc. Elle peut surgir à tout moment. Il faut juste « être prêt ». Mais sans la volonté de l’être.
D’aucuns diront : « mais le yoga en Occident n’a rien à voir avec toute cette mystique orientale !»
Certes. Beaucoup viennent au yoga pour être moins stressés, avoir une meilleure santé, corriger des problèmes de dos ou autre, pacifier ses émotions, mieux dormir, être moins réactifs, plus calmes, avec un petit fond « exotique » en plus. C’est du yoga quand même. La promesse implicite d’acquérir sagesse, vitalité, santé, souplesse, zénitude, quoi ! Et une fois encore, pourquoi pas ? C'est déjà formidable d'acquérir ces bienfaits dans la société anxiogène dans laquelle vit l'humanité du 21ème siècle.
D’autres viennent mystérieusement attirés par lui, comme on peut l’être par le zen, ou le bouddhisme, ou toute autre voie mystique, sans savoir vraiment pourquoi, mais en sentant intuitivement que c’est « leur route » parce qu’au fond d’eux, ils sentent qu’ils cherchent quelque chose de plus vastes qu’eux-mêmes. Ils offrent à leur désir non-nommé une praxis pour la mettre en lumière.