Aujourd’hui, le mot méditation est très souvent employé dans divers contextes, qui n’ont plus grand-chose à voir avec celui de Lamartine, dont les Méditations poétiques datent de 1820. On parle de méditation de pleine conscience, on explique qu’on peut méditer en cuisinant, ou en marchant… (Osho Rajneesh a d’ailleurs rédigé un livre consacré à une quarantaine de méditations « qui libèrent du mental » selon lui! ). Bref, il semble y avoir un véritablement engouement pour la méditation. En y regardant de plus près, on se rend vite compte que derrière ce mot, chacun met un peu ce qu’il veut, et fait aussi sa propre cuisine. Et au fond, ce n’est ni grave, ni important : chaque chemin, mené avec conviction et enthousiaste, ne permet-il pas de faire un bout du voyage sur Terre en étant plus conscient, ce qui n’est déjà pas si mal ?
Les grandes raisons qui poussent les uns et les autres à se lancer dans la méditation sont bien souvent le stress ou la recherche du mieux-être, et pourquoi pas ? Mais d’autres y viennent « poussés par quelque chose qui ne s’explique pas »
Si l’on devait tracer un bref historique, on commencerait par dire que le mot Méditation est expliqué dans notre vocabulaire comme étant un acte qui permet de réfléchir en silence à une question donnée et lui trouver le sens qui cerne le mieux la totalité des réponses qui se seront présentées. Les Méditations poétiques de Lamartine vont dans ce sens : chaque poème exprime une idée sur un thème.
Aujourd’hui, le mot est utilisé un peu à tout bout de champ et recouvre des réalités diverses et variées.
Dans notre société moderne, beaucoup s’enthousiasment de voir la méditation entrer en entreprise ; je dirai : « pourquoi pas ? si le but est véritablement humaniste et non mercantile, c'est-à-dire si c’est pour alléger une part de souffrance, et non pas pour rendre les employés plus dociles et productifs grâce à une technique de « mieux-être ».
Mais qu’est-ce que méditer ? Comment médite-t-on ? Y a-t-il une technique ? Et dans l’enseignement de yoga que je transmets, qu’est-ce que la méditation ?
Je donnerai déjà la parole à Éric Romeluère, moine bouddhiste, qui, dans une longue
conférence, a abordé le sujet avec beaucoup de sincérité et d’humilité ; il a expliqué ce qu’était la méditation zen, puis a brossé un consciencieux historique de cette forme de méditation qui connaît un véritable engouement en Occident. Et il dit ceci : « Dans la méditation zen, on observe le rien ; on n’est pas le spectateur non impliqué qui observe ce qui défile sur l’écran mental, comme je l’ai lu moi-même récemment sur un site qui prétend enseigner la méditation zen, mais on se met dans la posture où il n’y a rien à observer ». Et voilà, c’est dit : la césure est bien là. La méditation telle que proposée actuellement dans la plupart des centres de méditation, en entreprise ou ailleurs, permet aux personnes qui s’y adonnent de se mettre en état d’observateur par rapport à eux-mêmes, mais sans faire taire leur capharnaüm intérieur. Il s’agit donc simplement d’un état de « recul » très loin du sens donné en zen ou en yoga.
Éric Romeluère explique aussi qu’entre le moment où la méditation est arrivée en Occident, vers 1960, et aujourd’hui, il y a eu une profonde transformation de celle-ci – pour ne pas dire dégradation ou déviation - pour l’adapter à l’Occident. Aujourd’hui, c’est cette nouvelle forme, qui n’a plus grand-chose à voir avec le Zen qui est enseignée. Et que, plus étrange, certains moines de tradition zen ou bouddhiste se mettent eux-mêmes à adopter cette nouvelle forme. Mais est-ce toujours de la méditation ?
Comment médite-t-on en yoga?
Le point de vue du yoga que j’enseigne répondrait « non », en expliquant simplement que tant que le processus discursif du langage, tant que des images apparaissent ou disparaissent, tant que le souffle physiologique continue d’aller et venir, le pratiquant ne « médite » pas.
En yoga, trois étapes sont distinguées :
- D’abord on se concentre sur une chose (dharana) un son, un souffle, une image : ce sera une première étape, préalablement préparée par des mudras et du pranayama qui apportera
- le retrait des sens (Pratyahara). C'est l'étape 2 dans laquelle le monde extérieur n'est plus DU TOUT perçu par les sens. Tout se tourne vers l'intérieur. Ensuite, de dharana le pratiquant entrera dans un état méditatif où tout va se ralentir, souffle, pensée, et fusionner.
- Puis il y aura « une bascule » dans le vide, où souffles, pensées vont se suspendre, ouvrant dans le même temps un espace extra-ordinaire. Ce sera Dhyana, la " méditation" à proprement parler. Mot sanskrit intraduisible d'où toutes les confusions d'aujourd'hui, puisqu'on a repris pour le traduire un mot déjà utilisé par les philosophes, et qui n'a RIEN à voir avec le processus spirituel.
Lorsque je décris ceci, beaucoup me disent « impossible, on ne peut pas s’arrêter de penser et de respirer ». Je réponds alors simplement : « pratiquez, mettez vous sur votre tapis, faites et refaites, et vous connaîtrez cet état, accessible à tous sitôt que, comme pour le piano ou la danse, vous pratiquez régulièrement, patiemment! »
La méditation, dans un chemin spirituel, cherche au-delà du bien-être qui en découle naturellement, à dépasser et transcender un état ordinaire pour rejoindre le vide.
Voilà, dans les traditions spirituelles, ce qu’est la méditation.
Alors, doit-on s’attrister de la « déviation » du sens du mot méditation aujourd’hui ? Doit-on se lamenter de la récupération via un phénomène de mode, de cette pratique transformée, comme le dit Éric Romeluère, en outil du capitalisme marchand ? Doit-on s'insurger contre toutes ces techniques de bien-être qui monnaient des stages de " pleine conscience" à prix d'or avec des centaines de participants?
Non, surtout pas, car on ne sait jamais où un chemin peut conduire. Certains « méditeront » toute leur vie pour aller bien, et pourquoi pas, si cela leur fait du bien. Il serait vain ou prétentieux de condamner cette recherche. Et mon optimisme naturel me laisse même penser que, parmi ceux-là, certains, poussés par quelque chose qu’ils ne sauront pas nommer, s’engageront dans une voie ou une autre – le zen, le yoga, le bouddhisme ou tout autre chose encore – et continueront leur voyage autrement. Le phénomène de mode leur aura simplement donné la première impulsion. De toutes façons, " tout ceci passera un jour, " même cet univers tel qu'il est aujourd'hui... alors!...
Dans un prochain article, je reviendrai sur la « pleine conscience ».
commenter cet article …